Un peu d'histoire

 

Un document daté du IXème siècle fait état de Verdaches en tant que possession de l'abbaye Saint Victor. La Motte Castrale de l'Ubac laisse paraître des traces de fondation de ce qui devait être la résidence primitive du seigneur de Verdaches, Raimbaud, en l'an mil.

 

Cet habitat sera abandonné, au moyen âge, au profit du Bourguet et du Serre plus proches de l'église paroissiale de Saint Domnin. Sur ce site, des fouilles récentes ont mis à jour une nécropole médiévale et permis d'établir que la chapelle actuelle a été reconstruite sur une partie des fondations de l'église d'origine. Le cimetière occupant le reste de la surface. Des vestiges et un squelette d'une pèlerine (datés entre le Xième et le XIVème siècle), font apparaitre Verdaches comme une étape vers Compostelle.

L'église Saint Jean-Baptiste, au centre du village, apparaît à la fin du XVIIème siècle au titre de Chapelle du Hameau des Jauberts.

 

 

Au cours des siècles, la vie à Verdaches n'est pas vraiment simple, du fait de son accès difficile. Les sentiers se trouvaient environnées de bois, de forêts très denses, ce qui limitaient les relations entre les communes (la route qui mène à Digne en passant par Barles ne sera contruite qu'à la fin du XIXème siècle). La vie y est donc essentiellement pastorale et agricole : l'élevage de moutons est important dans la vallée du Bès dès 1230. La population culmine dans les années 1315-1323 (environ 350 habitants), suivie d'une descente en flèche à cause de la récession agricole due aux intempéries répétées, de la peste endémique (1358) et également de la guerre civile relative à la succession de la reine Jeanne en 1382.

 

En arrivant du sud, l'habitat change, tourné là encore vers la vie pastorale. Les maisons sont plus trapues, toutes orientées vers le Blayeul. Les toits pentus sont recouverts de lauzes ou ardoises de Barles ou encore de bardeaux. L'étable était aménagée l'hiver pour servir d'habitation, le chauffage étant surtout apporté par le bétail (le bois servait à chauffer les aliments). Avec les beaux jours, le bétail, composé en majeure partie de brebis, partait en montagne et les gens allaient habiter à l'étage entre le grenier et l'étable (on trouve encore quelques fermes ainsi conçues dans le village).

 

 

 

Ethymologie

Éric GUERRIER
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DE LA MÉMOIRE DES NOMS DE LIEUX
Que nous disent donc ceux de Verdaches et des alentours ?
L’idée d’une recherche de l’origine des noms de Verdaches et de lieux-dits alentours, m’a été
suggérée par le nom de Mardaric, torrent du même nom qu’un autre au nord de Peyruis.
Même si marda se retrouve en provençal, il ne désigne pas ici un fossé broussailleux faisant
office d’égout, sens qui est strictement gascon, mais une tâche, notamment de rousseur. Et
surtout le suffixe ric n’a pas de racine provençale ou latine. En revanche c’est celui des noms
gothiques tels Alaric, Théodoric, Genséric, Chilpéric, Médéric, Euric, Roric, etc, ou nordiques
comme Frédéric, Éric, etc. Mais il est vrai qu’on ne trouve pas de Mardaric parmi les chefs des
populations gothiques ayant ont envahi la Gaule et l’Empire romain : Wisigoths de l’ouest de
la Germanie ou Ostrogoths de l’est dont les Burgondes. L’occupation de la région aurait-elle
été menée par un certain Mardaric… qui avait des taches de rousseur ? L’histoire l’a oublié,
mais l’étymologie comme la géographie en garderaient-elles le secret ?
Verdaches est un toponyme unique en France dont on trouve la première mention dans des
chartes datant de 1055. Ce nom n’a aucune consonance locale ou latine mais elle aussi a une
consonance germanique. En allemand moderne, verdach signifie soupçonné, donc rien à voir.
En revanche, si on décompose phonétiquement en ver et dache, dans la langue germanique
ancienne dite gothique, wer signifie fortification défensive, qu’on retrouve encore composé
dans l’allemand Wehrmacht ou Abwehr. Cette racine se retrouve dans l’anglais war, guerre, et
dans la langue franque werra, ayant aussi donné guerre, guerrier ou guerroyer en français.
D’autre part, en gothique dach signifie toit, comme toujours en allemand moderne. Le lieudit
Werdach désignerait donc un toit de guerre, c’est-à-dire un casernement militaire à caractère
défensif, voire une garnison.
De quand daterait donc ce werdach, et comment aurait-il donné ce nom unique à un village
provençal ? D’abord un plongeon dans l’histoire et la géographie. Le village actuel, situé à la
confluence de la vallée du Bès et du Mardaric, est dominé par un petit plateau de quelques
hectares formant un promontoire haut d’une vingtaine de mètres. Là se trouvait le village
gaulois originel des Bodiontici bien connus des Romains. Mais on n’en connaît pas le nom
celte. Le flanc sud-ouest du plateau montre encore un bout de mur et un tronçon de petite tour
ronde.
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C’est seulement au XVIIe siècle que le plateau a été abandonné pour l’emplacement actuel.
Aujourd’hui n’en reste qu’une chapelle avec son cimetière. Témoin de la christianisation
romaine, le nom du saint, Domnin, est la contraction du latin dominus, le seigneur et maître. Le
fondement de la chapelle actuelle ne date que du XIIe siècle. Le cimetière est également
médiéval, mais des inhumations préchrétiennes ont été mises au jour. Ce n’est sans doute pas
sur ce plateau que s’est installé un cantonnement militaire de Goths en lui donnant le nom de
Werdach mais on ne sait où.
De l’autre côté du Bès, sur le piton de l’Ubac, on pouvait voir il y a encore une vingtaine
d’années, la trace au sol d’une tour ronde. Le piton domine des mouvements de terrain aux
configurations peu naturelles et dénommées La Campagne. Ce nom vient du campus latin qui
désigne le champ agricole bien sûr, mais aussi le campement d’une armée en campagne. Ne
dit-on pas une campagne militaire, ou pour une armée, partir en campagne, champ de
manoeuvre et champ de bataille. Le Champ de Mars à Paris ou les Champs catalauniques, sont
des lieux de grandes batailles historiques et non des lieux campagnards. Ici, cette Campagne
aux reliefs très mouvementés derrière le piton, n’a pas la morphologie d’une zone agricole. De
plus, l’accès à l’ensemble est encore borné dans la vallée du Bès, par la ruine d’une poterne.
Cette position dominante contrôlait donc et verrouillait l’ensemble du secteur du werdach, dont
la tour, permettait un point de vue au plus loin vers l’amont et l’aval de la vallée du Bès, mais
aussi sur le point de confluence du Bès et du Mardaric et son vallon. C’était donc un dispositif
très bien situé, et on va voir comment il se complétait.
De l’autre côté du Mardaric, un nom de quartier, Le Bourguet, petit bourg, est aussi d’origine
gothique évidente, venant de burg, château-citadelle, qui a été étendu au village entourant un
point fortifié, puis à toute agglomération médiévale. Le Bourguet est dominé par le quartier du
Serre. Serre, nom qu’on trouve par exemple dans Serre-Chevalier, se retrouve dans l’italien
serra ou l’espagnol sierra. C’est une racine préhistorique celto-ligure qui désigne une crête
allongée, ce qui est bien le cas du Serre dominant Le Vernet. Si là pas de citadelle, peut-être
un point d’appui ou d’observation.
Juste au sortir du village dans le vallon du Mardaric, le quartier de L’Auchette tirerait son
diminutif du celtique auch homophonie contractée du latin aug(ustus). Mais en gothique aüch
signifie aussi, ce que pourrait vouloir dire qu’il désignait une extension du casernement. En
gothique on trouve aussi launch qui contient les idées autour du lancé. Mais on ne voit pas trop
ce que ce concept pourrait faire avec un lieu-dit.
Mais en remontant jusqu’au contrefort dominant la confluence entre le Mardaric et le vallon de
la Sambue, est implanté le hameau de La Route. Curieux nom pour ce recoin perdu en cul-desac.
Car il ne peut venir de l’accès routier qui date seulement des années 1920. Mais il se trouve
qu’en gothique rotte (qui se prononce routeu) signifie horde, troupe notamment utilisée en
cavalerie. Et on remarquera que l’implantation de La Route verrouille l’accès vers Auzet par
La Sambue et le col de Charche, mais aussi le haut du vallon du Mardaric vers Seyne par le col
de Charcherie, anciennement Charcheriyes, c’est-à-dire un pluriel.
Sambue, qu’on trouve aussi sous la forme Sambuc en Provence et dans le Vercors, désigne un
profil en col de basse montagne. L’étymologie provençale latine se retrouve dans les sambuco
en Piémont. Il semblerait donc que l’étymologie celto-ligure doive être retenue.
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En revanche, Charche n’aucune racine locale ou latine. Mais en gothique, charch signifie
charbon qui n’aurait aucun sens ici, tandis que sharchen signifie poussée sans plus de sens.
Mais en gothique schar désignait troupeau, troupe, bande, légion, qui se rapproche donc de
rotte.
Par ailleurs, ce col de Charche se trouve dans le même secteur de crêtes que le lieu-dit Défens
de Charcherie où demeurent les ruines d’une chapelle qui a été reconstruite, et d’autres édifices
importants pas seulement en habitations, le tout déserté au XVIIe siècle. Le Défens de
Charcherie est positionné sur le col dominant d’un côté la cuvette de Seyne et de l’autre l’accès
au werdach par le Mardaric.
Si aucune étymologie locale ou latine n’existe pour les deux noms, en revanche, en langue
franque cette fois, le suffixe erie désigne le lieu où comme dans bergerie, laiterie, boucherie,
etc. Une charcherie serait donc un lieu qui abritait un(e) charche. Et si on retient troupe
militaire pour charche, une charcherie pourrait être un casernement. Le pluriel Charcheryies
est sans doute venu du développement de plusieurs édifices de même fonction. Le caractère
militaire est d’ailleurs conforté par le terme de défens. Ce terme juridique date de l’Ancien
régime pour définir un périmètre seigneurial interdit. Mais sans doute provenait-il d’un interdit
médiéval antérieur concernant toutes les positions défensives des châteaux-forts.
Toutes ces racines dérivées d’une langue d’origine germanique, voudraient-elles dire que ces
lieux ont été nommés lors de l’occupation par l’un des peuples envahisseurs du Bas empire ou
postérieurement. Maintenant donc un peu d’Histoire.
Ces peuples venus d’Europe centrale et orientale, avaient commencé à envahir la Gaule
romanisée et christianisée dès le Ve siècle. Et la région qui nous intéresse a été disputée des VIe
au VIIIe siècles, entre les Wisigoths, les Francs et les Ostrogoths dont les Burgondes.
L’histoire de ces conquêtes forme un véritable imbroglio. Retenons que Francs et Burgondes
ont été alliés, déjà par le mariage de Clotilde avec Clovis. Le royaume burgonde occupera au
sud une partie du Midi. Au nord, il jouxtait le royaume franc salien, à l’ouest le royaume
wisigoth d’Alaric, au sud et à l’est le royaume italique ostrogoth d’Odoacre roi des Hérules.
Alaric II avait des vues sur la Provence tenue par les Ostrogoths. Mais Francs et Burgondes
l’ayant battu à Vouillé en 507, bataille au cours de laquelle Alaric II avait été tué, ses
successeurs s’étaient alors tournés vers l’Espagne.
Théodoric autre roi ostrogoth, mais venu des Balkans par l’Autriche, avait détrôné Odoacre en
496. Sous ses successeurs puis lors de la reconquête de l’Italie par Justinien commencée en 535
jusqu’à la fin du royaume ostrogoth en 553, le royaume burgonde avait profité pour atteindre
son apogée en 534 par une avancée jusque près de Marseille.
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Les Byzantins avaient réagi en repoussant les Burgondes vers le nord. Mais ceux-ci tinrent bon
à l’approche des Alpes en s’appuyant sur les reliefs, notamment pour la région qui nous
intéresse, en bloquant à Digne la pénétration par la Bléone et à Sisteron par la Durance. Mais
la pression byzantine fut de courte durée.
En 599, de nouveaux envahisseurs, les Lombards occupèrent le nord de l’Italie auquel ils
donnèrent leur nom. Ils conserveront aussi la frange littorale du golfe du Lion. Suivit une
période très instable en Provence avec des incursions vers Seyne sans doute fréquentes. De
nombreux dénommés Lombard ne se retrouvent-ils pas encore dans la région, et même à
Verdaches ? Mais il est vrai que la plupart d’entre eux sont venus aux XVIIIe et surtout XIXe
siècles. Quoi qu’il en ait été, la stabilité ne s’établira qu’avec l’unification dans l’Empire
romain-germanique.
C’est donc à l’époque de Charlemagne, empereur goth plus que franc, qu’après les avancées
reculs, péripéties et conflits, notamment avec les Francs, les Burgondes s’intègreront
définitivement dans la Francie médiévale en gestation, donnant le nom de Bourgogne
(Burgondie) à la région où ils se sont stabilisés. Le werdach burgonde de ce recoin à la limite
haute de la Provence, s’est intégré au maillage féodal en perdant sans doute de son intérêt
défensif. Au moment de la constitution du baillage de Seyne et de sa fortification féodale au Xe
siècle, ce sont les Chartes de 1055 octroyées par Étiennette de Marseille, dite Douce, femme
de Geoffroy Ier, cinquième comte de la branche cadette de Provence, qui formaliseront le nouvel
ordre géopolitique, en francisant au passage le werdach burgonde en Verdaches franc. Pourquoi
avec un s ? Peut-être pour englober les dispositifs des lieux-dits annexes.
Le nom de Verdaches semble donc bien provenir du VIe siècle, lors de l’installation sur le
territoire du village romano-bodiontite, d’un important dispositif militaire burgonde
comprenant les défenses du piton de l’Ubac avec sa Campagne, de la Route, du col de Charche
et du Défens des Charcheriyes. Quand on sait la permanence et la résistance des noms de
peuples, de lieux et habitats, il faut que l’emprise burgonde sur le site et l’influence sur les
habitants du coin, aient été assez fortes et longuement pérennes, pour substituer le gothique
werdach au nom ancestral du village que nous ignorons.
Reste enfin à trouver le pourquoi du choix stratégique d’un position aussi bien développée avec
ses renforts. Depuis le VIe siècle jusqu’au VIIIe, il s’agissait apparemment de contenir
exclusivement les diverses pressions invasives, toutes venant du sud. Mais les clues d’Auzet et
surtout de Barles étaient pratiquement infranchissables par une armée, sauf à de petites unités
à pied passant par la montagne sans cavalerie ni matériels. Le seul passage accessible depuis le
sud permettant d’envahir le compartiment géographique de Seyne, devait franchir le col du
Labouret. Il est alors évident que la position du werdach était trop éloignée du col pour en
défendre le passage. Et pire, tout envahisseur pouvait prendre la position à revers. Mais la
réciproque était vraie, le werdach permettait de couper la retraite de l’envahisseur. Et puis,
d’autres positions comme le Haut-Vernet, protégeaient-elles cet axe de pénétration ?
Notons au passage que Vernet pourrait être un diminutif de wer, mais vernet signifie aussi
l’idée de quelque chose qui ferme, donc d’un dispositif-clé qui conviendrait bien ici. Bien sûr,
il a pu y avoir comme souvent, convergence homophonique avec un nom local préexistant, ici
le celte verna, vern, verne, vergne, qui désignent aussi bien l’aulne que l’aulnaie.
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La route actuelle du Labouret masque aujourd’hui l’encaissement du vallon y montant
depuis le sud. Sans aucun doute y a-t-il toujours eu par là le seul chemin menant à Seyne. Il
devait être à coup sûr « montant, sablonneux, malaisé », mais peut-être a-t-il été à peu près
carrossable depuis l’occupation romaine ?
Le hameau et le col de Maure ne gardent-ils pas la mémoire d’une de ces incursions venues du
sud ? Au VIIIe siècle, l’une des quelques expéditions en Provence d’Arabo-berbères d’Espagne
ayant réussi à franchir le Rhône par Arles, aurait donc pu passer par Le Labouret. Mais il est
peu probable que le werdach ait encore été opérationnel à cette époque tardive, et il ne put sans
doute pas arrêter l’incursion en attaquant les arrières de la cavalerie de l’Émir, tout en lui
coupant la retraite. Le plus probable serait donc que la cavalerie arabo-berbère se retrouva
impuissante devant la citadelle de Seyne, même avant qu’elle soit fortifiée telle que nous
connaissons, qui verrouillait le passage vers les Alpes. Mais les Arabo-berbères d’Espagne
étaient appelés Sarrasins alors que le nom de Maure désignait ceux qui firent des incursions
maritimes en Provence à partir de 890, et qui s’y maintinrent jusqu’en 972/73, notamment à La
Garde-Frénet. Et, à cette époque le werdach avait sans doute depuis longtemps perdu sa
vocation militaire. Mais qui saura jamais ?
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PS : le nom de Seyne a deux étymologies celtes complémentaires. L’une, sed, sedena veut dire roc,
rocher, et aurait trait au site fortifié. L’autre sagne, mot signifiant marais, viendrait-il d’une zone
marécageuse qui aurait encore occupé la cuvette où se trouve aujourd’hui le terrain de vol-à-voile ?
Semblable au petit lac résiduel de Saint-Léger, à l’ouest du col Saint-Jean.
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La Route - 08/2020